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Prisonnier des allemands
 

Nous rencontrons également le 293e d’Infanterie et un escadron de chasseurs qui retournent vers Paliseul. Aux abords d’Our, nous trouvons une bande de trainards appartenant à divers régiments du XIe corps. Ils sortent d’un petit bois à notre approche. Parmi eux se trouvent quelques blessés que nous recueillons. Les autres, ne sachant où sont leurs régiments, sont dirigés sur Paliseul. D’Our, on nous fait revenir sur nos pas jusqu’au village de Beth.

Là nous nous installons dans un couvent de Visitandines. Le couvent des Abys.

Premiers blessés

Dans ce couvent avait été mis sur pied par les religieuses, avant l'arrivée des troupes françaises, une petite ambulance d'une vingtaine de lits .

Il est environ 20 heures. Nous nous organisons immédiatement par équipes et commençons les pansements. En quelques instants, en effet, le couvent s’est rempli de blessés. Il y en a partout et jusque dans la cour. Nous en recevons au cours de la nuit, environ 600.

Vers 22 h. 00 ; le médecin principal Couillaud, notre médecin divisionnaire , vient à l’ambulance. Il nous apprend que l’on bat en retraite et, devant le nombre de blessés, notre médecin-chef déclarant que tous les médecins de l’ambulance ne seront pas de trop pour arriver à faire tous les pansements, donne l’ordre à l’ambulance de rester sur place. Notre officier gestionnaire « Cazaux » reçoit l’ordre de brûler les papiers de l’ambulance. Le médecin divisionnaire emporte notre matériel sauf la voiture de chirurgie et les chevaux de selle des officiers. Les brancards roulants furent oubliés par mégarde dans le parc du couvent.

Nos pansements sont terminés vers 4 h. 30 du matin. A ce moment notre gestionnaire M. Cazaux ayant réquisitionné quelques voitures, évacue 400 blessés environ sur Paliseul, quelques-uns en voiture, la plupart à pied. Ces blessés, nous l’avons su plus tard, purent gagner Paliseul avant le départ du dernier train pour Bouillon. Ils purent ainsi être évacués sur l’intérieur.

Arrivée des allemands

A 4h. 30 nous prenons un peu de sommeil jusque vers 7h. 00. Nous sommes étonnés de n’avoir pas vu encore les Allemands dont on nous annonçait l’arrivée comme imminente la veille au soir. De nouveaux blessés sont arrivés, nous nous remettons aux pansements. Un convoi de blessés nous est conduit par le docteur Bourguignon, aide-major, que l’ambulance n°1 a laissé à un poste de secours d’Our. Comme il s’apprête à repartir vers 10h. 30, il voit devant la porte du couvent deux sentinelles allemandes qui le mettent en joue. Le docteur Mével qui l’accompagne dit le mot : « arzt » et referme la porte. Tous deux reviennent vers nous et nous annoncent que les allemands entourent le couvent. Bientôt, du corps du bâtiment où est installée l’ambulance, nous voyons des soldats allemands, baïonnette au canon, dans les couloirs de la porterie.

Vers 11 heures la porte de la conciergerie s’ouvre et nous voyons s’avancer vers nous deux officiers allemands accompagnés d’un sergent. Tous trois parlent un français très pur. Nous nous portons à leur rencontre dans la cour. Ils ont un souci visible de correction. Ils demandent à voir deux dragons allemands blessés qui ont été amenés au couvent dès le matin du 22 et que nous avons pansés en arrivant. Dans la conversation qu’ils ont en allemand les mots : « Nach Sedan, Nach Paris » reviennent à plusieurs reprises. Les deux officiers viennent de sortir par où ils étaient venus quand le parc du couvent est envahi du côté opposé par une troupe de soldats allemands. Un officier pénètre dans le couvent révolver au poing et, malgré que nous soyons vêtus de la blouse médicale et sans armes, nous place le canon de son révolver sur le front à tour de rôle. Finalement il s’arrête devant le Médecin-chef et reste devant lui le canon de son arme braqué à quelques centimètres de son visage. C’est dans cette situation que des explications assez difficiles sont échangées, l’officier allemand ne sachant pas un mot de français. Notre médecin-chef lui explique que le commandant allemand est à la porterie. L’officier place alors quelques soldats allemands devant nous, le canon des fusils braqués sur notre groupe, et disparaît. Quelques instants après il revient et emmène ses soldats. Un des deux officiers venus les premiers revient nous dire très courtoisement que l’on nous laisse nos chevaux de selle, mais un infirmier, allant à l’écurie quelques instants après, constata que deux chevaux avaient été emportés et le 3e blessé d’un coup de baïonnette à la cuisse. Les deux officiers si corrects avaient d’ailleurs assisté à la mise à sac, par leurs hommes, quelques instants auparavant, d’un petit château situé à droite de la route de Beth à Our. La cave avait été vidée et les bouteilles non bues, brisées. Nous avons tenu ce détail des gens du pays, les jours suivants. Les Allemands repartirent sans laisser un poste à l’ambulance. Dans l’après-midi nous revîmes le sergent du matin qui nous conduisit un soldat français blessé.

« Je reçus aussitôt de M. le médecin principal Couillaud, l’ordre d’établir mon ambulance au couvent des Abys, à 2 kilomètres en arrière sur la route d’Opont. L’ordre portait : « ambulance immobilisée » en raison du nombre disait-on considérable de blessés. Il était près de 8 heures du soir quand j’entrai aux Abys. Je me présentais à la Supérieure des Visitandines et procédai immédiatement à la répartition des services : 1) salle d’entrée et d’inscriptions ; 2) salle de triage de blessés ; 3) salle des grands, moyens et petits pansements ; 4) cuisine et tisanerie. Le personnel de l’ambulance reçut les affectations prévues. Il en fut de même du matériel. Je me réservai le triage des blessés, quitte à me porter ensuite sur les points les plus encombrés.

Afflux de blessés

A 8 heures nous étions tous à notre poste quand arrivèrent les premiers blessés. Tout d’abord on put procéder à la répartition prévue ainsi qu’à l’inscription de chaque blessé, mais nous ne tardâmes pas à être débordés. La cour intérieure du couvent, cependant très vaste, était bientôt recouverte de brancards entre lesquels on allait trébuchant à la lueur incertaine des fanaux.

La nuit était froide, les blessés frissonnaient. La salle de triage regorgeait de blessés, avec le corridor y conduisant. L’encombrement était partout, paralysant. Je suspendis nos opérations de triage, fis même interrompre les inscriptions des entrants qui demandaient du temps et allai au plus pressé. Le plus pressé était d’étendre les blessés à l’abri du froid. Je fis réquisitionner toute la paille du village. On en remplit toutes les salles disponibles du couvent. En quelques minutes elles furent pleines de blessés. Le souvenir me vint alors d’un château aperçu dans le village non loin du couvent de l’autre côté de la route. Je pus y loger 200 blessés. Le vide qui en résulta au couvent des Abys ne fut pas très appréciable car il en arrivait sans cesse. Il passa cette nuit par notre ambulance plus de 600 blessés. A deux heures du matin, je reçus la visite de M. le médecin divisionnaire Couillaud. Il m’annonça ce que je prévoyais déjà, le mouvement de retraite de nos troupes et me donna, en raison du nombre considérable de nos blessés, l’ordre de demeurer avec toute ma formation. Il partit emmenant le personnel et le matériel du train des équipages consentant seulement à nous abandonner notre voiture de chirurgie. Mes aides-majors et moi nous fîmes des pansements toute la nuit. A 5 heures du matin je recevais un mot d’un de nos confrères de l’ambulance n°1 resté à Our. Il m’apprenait que les allemands les « canardaient » et qu’il m’envoyait un convoi de blessés. Mon ambulance était pleine, nombreux étaient ceux dont nous n’avions pu nous occuper. Je pris sur moi d’enjoindre aux conducteurs des voitures de se diriger sur Bouillon pour rejoindre les lignes françaises (…) » .

Premiers morts

Le lundi 24 au matin nous recevons une quinzaine de blessés français qui étaient restés dans les bois depuis le samedi. A 14 heures on enterre, dans une prairie du couvent, plantée de pommiers, nos 5 premiers morts : le capitaine Delannoy du 65e d’Infanterie et 4 soldats. Les prières sont dites par l’aumônier du couvent. Monsieur Mével, d’une voix que l’émotion voile un peu, prononce quelques paroles au bord des tombes et nulle émotion ne peut être comparée à celle que nous causent ces simples et tragiques funérailles qu’accompagne le bruit lointain du canon. L’aide-major Bourguignon, de l’ambulance n°1, auquel se sont joints, à Our, l’aide-major Le Lyonnais du 93e et le médecin auxiliaire Flatrès, a tenté d’évacuer ses blessés sur les lignes françaises. Il a été arrêté à Opont le 23 août. Un sergent et un soldat allemands viennent à l’ambulance, le 25, nous demander si nous pouvons recevoir les blessés d’Opont. Le couvent étant plein de blessés, ceux d’Opont seront placés au château de Beth tout près du couvent. La formation Bourguignon, sur le désir de ce dernier, resta autonome. Elle subsista en réquisitionnant sur place. Nos blessés étaient nourris par les Religieuses contre Bons de réquisitions. Les conditions de confortable étant meilleures au couvent, nous invitâmes les docteurs Bourguignon, Le Lyonnais et Flatrès à prendre leurs repas avec nous. Dans la matinée du 25, un officier d’approvisionnement allemand vint nous demander d’aller panser des blessés français à Our. Ce fut M. Mével qui s’y rendit.

A 4 heures, enterrement d’un soldat du 93e, notre sixième mort. La canonnade se fait lointaine et rare.

Le 26 août, un lieutenant allemand vient chercher les blessés transportables. Les hommes s’alignent dans la cour au nombre de 23. Monsieur Mével leur adresse un adieu ému et nous leur serrons tous les mains. L’officier allemand nous dit : « la guerre est finie pour eux, ils ne seront pas malheureux » et il nous apprend qu’ils iront par étapes de Beth à Maissin, de Maissin à Libin où se trouve une ambulance. De là ils seront dirigés sur Libramont où on les embarquera à destination de Trèves. Ils seront employés aux vendanges dans la région de Trèves. L’officier allemand n’a pas voulu emmener les officiers français transportables parce qu’il aurait été obligé de les faire coucher sur de la paille.

Premiers cas de tétanos

Le vendredi 28 août nous apprenons que Sedan est occupé par les Allemands, mais nous recevons les nouvelles les plus contradictoires et nous ne pouvons-nous faire aucune idée de la situation. Le soir, dans le service du docteur Fortineau, se déclare le premier cas de tétanos. Nous n’avons pas de sérum dans nos approvisionnements. Il y a là 150 blessés français et des civils atteints par l’Artillerie. Un enfant de 7 ou 8 ans, réfugié avec ses parents dans un fossé où ils s’étaient couchés sous la paille, a été blessé au front et au bras d’un coup de baïonnette. Toutes ces plaies, soignées tant bien que mal, par les gens du pays, qui se montrent très dévoués, suppurent beaucoup. Maissin est occupé par une compagnie allemande. Le bruit y circule que Sedan est pris et que les Allemands sont à une heure de Paris.

Dimanche 30 août. Notre tétanique meurt en 36 heures. La plupart des blessés sont en bonne voie. Nos infirmiers commencent à avoir quelques loisirs. Leur moral est excellent. Ils profitent de ce dimanche pour organiser des jeux (courses à bicyclette, courses à pied) dans le parc du couvent.

Dans l’après-midi, fausse joie. Un bruit se répand soudain : « Les Français, les Français ! » Tout le monde se précipite sur la route. Hélas ! Il n’y a rien et l’on finit par comprendre que l’origine de ce bruit a été le passage d’un convoi de prisonniers dont la nouvelle a été colportée et déformée dans le pays.

31 août – Deux soldats égarés se présentent à l’ambulance. Ils sont du 21e d’infanterie. Ils se sont battus le 22 dans la région de Bertrix. Depuis ce jour ils errent dans les bois, se nourrissant de carottes crues. Ils sont amaigris et exténués. Deux nouveaux cas de tétanos se déclarent à l’ambulance le 1er septembre. Un blessé meurt le même jour de tétanos dans la formation Bourguignon.

2 septembre – Un des tétaniques d’hier est mort cette nuit. Un cinquième cas se déclare dans mon service chez un blessé à plaie déchiquetée du métatarse gauche ; à qui j’avais déploré de ne pouvoir faire du sérum préventif. Le soir un sixième et un septième cas se manifestent dans la formation Bourguignon.

Le 3 septembre deux nouveaux cas de tétanos (9) se déclarent dans la formation Bourguignon.

Le 4 septembre le tétanique de mon service meurt dans la matinée. C’est le dixième décès que nous ayons parmi les blessés de l’ambulance. Un nouveau décès, par tétanos, également, dans la formation Bourguignon. Un blessé arrive à l’ambulance, une plaie au bras, enveloppée d’un morceau de chemise. Depuis la journée de Maissin, il errait dans les bois. Il est resté cinq jours sans manger. Dans l’après-midi nous allons à Maissin. Nous traversons des champs remplis d’effets de campement, d’uniformes en lambeaux, de cartons à musique car la musique régimentaire du 19e a été anéantie pendant le combat de Maissin. A Maissin spectacle lamentable : 65 maisons sont brûlées, il n’en reste que 6 intactes (…)

Le 7 septembre nous enterrons deux nouveaux blessés (cela fait 13 décès à l’ambulance). Parmi eux un nouveau tétanique.

8 septembre : nouveau cas de tétanos (10) dans le service du docteur Merson. Autre cas (11) dans la formation Bourguignon. Les docteurs Merson et Jousset vont à Graide, sur la prière du curé de Naome, soigner 36 blessés français. Ceux-ci ont bien été soignés par la population civile et par le médecin civil de Bièvre. Il y a eu un décès de tétanos. Deux cas de tétanos sont actuellement en évolution. La plupart des blessés appartiennent au 135e d’Infanterie. Le médecin de Bièvre raconta qu’à leur arrivée les Allemands trouvèrent une cinquantaine de civils réfugiés dans les caves. Ils les firent ranger devant un mur et firent le simulacre d’une exécution en masse en tirant dans le mur au-dessus de leur tête. Une balle ayant ricoché tua la belle sœur du médecin. D’autres civils furent tués. Un lieutenant du 135e, que les docteurs Merson et Jousset ont pansé à Graide, leur a dit que la supérieure du couvent était une nièce de Guillaume II.

Mauvaises nouvelles de la France

Le mercredi 9 septembre, le médecin-chef, docteur Mével, accompagné de l’aide-major Merson et de l’officier d’administration Cazaux, se rend à Libramont demander que l’on nous renvoie en France conformément à la Convention de Genève. Nous sommes très inquiets de ne pas les avoir vus rentrer quand ils reviennent à 22 heures accompagnés d’un sergent allemand. Celui-ci un peu pris de boisson, mène grand tapage à son arrivée et veut visiter de fond en comble le couvent. Cependant après avoir vu et interrogé nos deux blessés allemands, il se calme et se couche. Aussitôt que nous sommes seuls nous interrogeons les trois voyageurs sur ce qu’ils ont appris dans leur voyage. Nous apprenons avec stupeur que les Allemands sont à Senlis, que le gouvernement est transféré à Bordeaux, que Maubeuge est prise. Nous apprenons en outre que nous serons envoyés en Suisse, sauf deux d’entre nous qui seront gardés pour soigner les prisonniers.

La journée du 10 est employée par le sergent allemand, aidé d’un de nos sous-officiers, le sergent Maguet à réquisitionner des voitures. Le soir, à la salle à manger des officiers, les religieuses nous apportent trois bouteilles de champagne et l’on sert, au dessert, un magnifique gâteau, œuvre de notre cuisinier. Le capitaine Saint-Martin, du 116e, qui a reçu neuf blessures et pour qui nous avons tous l’admiration qu’impose son caractère très énergique, très brave et très gai, nous adresse des adieux émouvants auxquels répond notre médecin-chef.

(extraits)] « Les évacués : 325 blessés dont 35 grands, en provenance des Abys et du château, 14 officiers, 61 infirmiers – Il est laissé au couvent quatre hospitalisés : le capitaine Maisonchin et « trois malades incurables » .

Départs des prisonniers et des blessés

Le vendredi 11 septembre, l’embarquement des blessés sur des charrettes lorraines garnies de paille commence de bonne heure. Nous adressons nos adieux et nos remerciements aux religieuses qui se sont montrées très dévouées. Le cortège s’ébranle à 9 h. 30. C’est une longue théorie de 46 voitures. Nous nous dirigeons vers Libramont par Opont et Paliseul. A partir de Paliseul le spectacle est lamentable. La contrée est ravagée. Les villages sont rasés et brûlés. Les maisons isolées elles-mêmes sont brûlées. Tout le long de la route sont disposés sur les bas-côtés des sacs, des vestes, des pantalons, des képis et des armes français. On n’en voit que là d’ailleurs. Ceux qui étaient dans les champs ont été ramenés au bord de la route. Cela nous donne l’impression d’une mise en scène organisée par les Allemands.

Pendant le trajet, la pluie se mit à tomber à torrents. Nos blessés étendus sur des charrettes et peu couverts sont trempés d’eau froide. Avant d’entrer à Libramont nous faisons un détour. Les Belges ont fait sauter un pont, coupant ainsi la grand’route. Nous arrivons à Libramont à 16 h. 30. Sur la première maison du village on a peint en lettres hautes d’un pied : (SEDAN 1870-1916). Dès l’arrivée on nous sépare de nos blessés qui sont immédiatement embarqués dans des wagons à bestiaux. Des officiers au ton sec et rêche nous font remettre nos armes qui nous avaient été laissées jusqu’ici. On nous parque dans une pièce de l’hôtel Duroy, près de la gare, avec interdiction d’en sortir. [page 6] Nos infirmiers sont parqués de leur côté dans un autre local. Nous obtenons de prendre avec nous nos bagages et nos provisions. Nous avons mangé en route le pain et le jambon que nous avaient donnés les religieuses, mais fort heureusement il nous reste une cantine de conserves que nous avons emportée de Nantes et qui est encore presque intacte. Dès que nous sommes seuls, la propriétaire de l’hôtel entre. Elle est tragique et belle d’horreur et d’indignation. Elle nous apprend que tout a été brûlé et pillé dans le pays. Vingt-trois civils ont été fusillés. Chaque soir des officiers partent en automobile pour les châteaux voisins où ils pillent les caves. Ils rapportent leur butin à l’hôtel et passent la plus grande partie de la nuit à boire. L’hôtelière nous donne du café et du thé sans sucre. Il n’y en a pas dans le pays. Elle nous passe en cachette du pain beurré, du jambon, une boite de cigares et refuse tout paiement. Enfin elle nous apprend que l’armée française vient de remporter des succès. Puisse-t-elle dire vrai. A 22 h. 30 on nous embarque dans nos wagons. Nos infirmiers sont en troisième. Nous avons un wagon-couloir de secondes, avec, en avant, un compartiment de premières. Fatigués de cette journée de marche nous nous étendons sur nos banquettes, roulés dans nos couvertures, et nous dormons.

Voyage à travers l'Allemagne

Au réveil, le samedi 12, nous sommes toujours en gare de Libramont. Des convois de soldats sont arrivés toute la nuit. Il en arrive encore. Ils paraissent âgés pour la plupart avec, parmi eux, de très jeunes. Tous paraissent très enthousiastes. Les wagons sont fleuris et couverts de caricatures représentant les souverains alliés ou encore un zouave fuyant devant un soldat allemand. Une musique militaire joue l’hymne bavarois. Puis les soldats entonnent l’hymne national. A 8h. 30 notre train quitte Libramont. Jusqu’à Neufchâteau le pays est toujours dévasté par le feu. Nous passons, à Arlon. Nous traversons le Grand-duché de Luxembourg dont les habitants nous semblent plutôt hostiles. »

L’équipée se poursuit par Trèves, Cochem, Francfort-sur-le-Mein (13 septembre), Darmstadt, Carlsruhe, Offenburg, Fribourg, à destination de la station-frontière de Leopoldshohe (14 septembre) où ils sont remis aux autorités suisses.

Au poste suisse on nous fournit une voiture….

Libération en Suisse

14 septembre 1914: Au poste suisse on nous fournit une voiture pour nos bagages. On nous conduit à pied à la gare de Bâle. Au bruit que fait notre troupe sur le pavé des rues, des fenêtres s’ouvrent et nous entendons quelques cris de « Vive la France » tomber des persiennes… A la gare de Bâle, le consul général de France nous attend. Il nous reçoit d’une façon inoubliable et nous apprend la nouvelle de la victoire de la Marne. Un excellent petit déjeuner nous est servi par ses soins. Il nous fait distribuer du linge et se charge des télégrammes à faire parvenir à nos familles qui, depuis notre captivité, sont restées sans nouvelles. Nous quittons Bâle à 7h. 15. A 10h. 15 nous arrivons à Berne où l’attaché militaire de l’ambassade nous attend. On nous sert un thé au vieil hôpital. Au départ de l’hôpital, de vigoureux « Vive la France » ! partent de la foule. Tout le long du trajet nous sommes très bien accueillis. A partir de Neuchâtel, surtout la population nous fait des ovations enthousiastes. Aux Verrières de Suisse nous sommes attendus par deux officiers suisses qui nous offrent des rafraîchissements ainsi qu’à nos hommes. Ils doivent nous conduire jusqu’à la frontière avec l’officier et le poste suisse qui nous accompagnent depuis Bâle. A la douane le médecin-chef et quelques-uns des officiers de la formation descendent avec les officiers suisses pour l’accomplissement des formalités relatives à notre remise aux Autorités françaises. Ils seront conduits à Pontarlier en automobile. Nous arrivons à Pontarlier à 16 heures (…) »

Sources : Arch. Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce à Paris, carton n° 633, dos. 19, Ballereau ; carton n°638, dos. 25, Mével.

JVoici le récit de la captivité de Félix Le Bihan par un de ses compagnons d'infortune. (visualiser la carte du chemin parcouru)

Arrivée à proximité du front

« L’ambulance 2-XI , formée à Nantes le 3 août 1914 comprenait comme personnel officier : Médecin-chef, Docteur Mével, médecin major de 2e classe ; Médecins-traitants : Docteurs Merson, aide-major de 1ère classe ; Le Bihan; Jousset, médecin aide-major de 2e classe ; Fortineau Ballereau; Phamacien MM. Guibaud, pharmacien aide-major de 2e classe ; Officiers d’administration Cazaux [et] Menard, officier d’administration de de 3e classe.

A 14 h. 30 nous apercevons une épaisse colonne de fumée. Nous avons appris par la suite qu’il s’agissait de l’incendie de Maissin.

A 16 h. 45 nous recevons l’ordre de nous diriger sur Our. Chemin faisant, nous croisons des civils qui fuient à travers champs, des paquets de hardes à la main.

Portrait de Félix Le Bihan portant sa décoration de la croix de guerre

Le médecin Félix Le Bihan

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